Mauricio Dias (Rio de Janeiro, Brésil, 1964) et Walter Riedweg (Lucerne, Suisse, 1955) travaillent ensemble depuis 1993, mettant en commun dans des projets artistiques publics pluridisciplinaires leurs expériences respectives dans le domaine des arts visuels et de la performance. Les deux artistes sont reconnus pour leur engagement social et pour avoir consacré une grande partie de leur travail à des groupes marginalisés qui participent au processus même de création et d’exécution des œuvres.
Les douze vidéo-valises exposées à la Galerie Bendana-Pinel sont un hommage facétieux à Marcel Duchamp et à ses « boîtes-en-valises », Duchamp ayant lui-même un lien particulier avec le Brésil, notamment grâce à sa relation avec le grand sculpteur brésilien Maria Martins.
Tout comme l’œuvre de Duchamp, ces « malas para Marcel » visent à intégrer leur propre conception, leur propre histoire dans l’œuvre elle-même. L’objet est le sujet de la vidéo. Les valises pour Marcel peuvent soit être interprétées comme un travail allant au-delà de l’image en mouvement, soit comme un essai philosophique sur l’immigration. Ici, les objets migrent de saison en saison, tout au long de l’année, et évoluent de contexte en contexte au cœur de Rio de Janeiro. Le spectateur reconnaîtra la ville et le calendrier mais les vidéos ne racontent aucune histoire.
Certains ne verront que des valises passant de mains en mains, d’un contexte à un autre, d’une place à une autre ; des objets en mouvement, transportés sans raison, de manière répétitive et dénuée de sens. D’autres verront la métaphore du capital ; l’argent lui aussi circule sans destinée prédéterminée. Quand les douze valises sont exposées ensemble, une treizième projette sur le mur un film sur le trajet que ces valises ont parcouru avant d’atterrir dans leur lieu d’exposition.
AMBASSADE DU BRÉSIL > 15 AVRIL 2009
Depuis le seizième siècle, le dialogue et les influences réciproques entre les cultures françaises et brésiliennes ne cessent de se poursuivre. En 2005, Le Plateau avait ainsi présenté l’œuvre de Dias & Riedweg dans le cadre de l’Année du Brésil en France. Ce travail évoquait les rapports entre psychologie individuelle et espace public, interactions entre le centre et les marges de la société urbaine, au moment où nous nous interrogeons ici sur les ressorts profonds du fonctionnement de la grande métropole et de ses acteurs dans le cadre du Grand Paris.
De même depuis les récits de Jean de Léri, « Les singularités de la France antarctique » d’André Thevet et aussi l’œuvre de Hans Staden, les intellectuels français, à commencer par le chapitre 31 des Essais de Montaigne sur « Les Cannibales », les œuvres de Voltaire, La Condamine, Jules Verne jusqu’à Lévi-Strauss, ont réfléchi sur l’homme nouveau du Nouveau Monde à travers l’Indien brésilien. Aujourd’hui Dias & Riedweg revisitent ce mythe fondateur de la culture brésilienne qu’est le cannibalisme, et sa métaphore, l’appropriation dévorante de la culture de l’autre, avec « Funk Staden » (2007) et « Woodcuts » (2008) présentés à l’ambassade du Brésil en France.
Jean Gautier, Président du commissariat de l’Année du Brésil en France - 2005
Dias & Riedweg ont collaboré avec les danseurs de funk des favelas de Rio pour établir, à travers ce travail, une connexion entre le Funk Carioca et le livre d’Hans Staden (1527-1578) « Histoire Vraie et Description d’un Pays d’Hommes Nus, Féroces et Anthropophages dans le Nouveau Monde ». Ce travail montre comment la représentation de l’autre aux premiers jours des interactions entre européens et tribus indigènes du Nouveau Monde diffère probablement assez peu de la façon dont les médias modernes se servent aujourd’hui de leur puissance pour marginaliser, à des fins politiques et économiques, certain groupes sociaux. Les artistes opposent cette vision médiatisée de l’autre en mettant en exergue un phénomène contemporain des favelas de Rio de Janeiro resté jusque là caché aux yeux extérieurs et en invitant les danseurs de funk à réinterpréter, comme des tableaux vivants contemporains, neuf des gravures sur bois originales du livre d’Hans Staden. « Funk Staden », commande réalisée pour Documenta 12 à Kassel, ville natale d’Hans Staden, comble les quatre cent cinquante ans qui séparent Hans Staden des funkeiros, annihilant ainsi les fossés culturels et historiques qui séparent les deux époques.
Le livre d’Hans Staden, illustré de nombreuses gravures sur bois, est devenu un des premiers best seller du monde et le point de départ de ce qui allait construire l’imaginaire européen sur les tropiques sauvages. Ces gravures ont ouvert toute une tradition de la représentation visuelle de ce qu’étaient les tropiques dans la perception européenne. Dias & Riedweg ont reproduit ces représentations allégoriques en demandant à des danseurs funk des favelas de Rio de reprendre, telles qu’elles sont décrites par Hans Staden, les postures que les indiens Tupinamba adoptaient dans leurs rituels cannibales. Les deux artistes ont figé ces gestes dans 5 photographies qui reprennent en détail les récits délirants d’Hans Staden dans l’atmosphère contemporaine non moins délirante des soirées barbecue nocturnes des funkeiros ou les corps des ennemis blancs sont remplacés par des mannequins et des poupées gonflables.