Coupure, latence

Pablo Lobato
11
September
>
5
November
2014
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L’exposition Coupure, latence présente des oeuvres inédites de l’artiste brésilien Pablo Lobato, à l’occasion de sa première exposition personnelle à Paris chez Bendana | Pinel Art Contemporain.

Avant de commencer toute réflexion sur le travail de Pablo Lobato il convient de remarquer son intérêt urgent pour le sens du toucher au travers des images. L’artiste a dit un jour que son travail relevait plus de rencontres que de recherches. Je crois qu’il insiste sur ce point parce que les rencontres sont toujours ouvertes à l’imprévisible et négocient inévitablement une dynamique réciproque. Les rencontres activent des singularités à la fois dans la conscience de l’altérité et dans la connaissance de soi. Cela fait aussi écho aux procédures mises en œuvres par l’artiste au travers desquelles il entend réagir avec les matériaux, pas exactement en intervenant sur eux mais en écoutant et en répondant à leurs prédispositions muettes. Le toucher serait dans ce cas une qualité très sensible d’approcher autant que d’échanger.

Dans la série « Muda », le geste très sensuel de percer des fruits dans le seul but d’atteindre leurs pépins évoque le sens du toucher tout comme le faisceau de lumière qui projette le film « 1000 x 1 » est presque palpable, une part essentielle du travail comme la projection d’images qu’il reproduit. « Desvio », par exemple, établit dans le regard le besoin de devenir tactile. La photographie montre une barrière très sommaire, faite de briques, destinée à partiellement diriger l’eau vers le bas. Les défauts du sol et les taches sont des signes subtils de la topographie et du cours d’eau, couches du temps et de la mémoire, texture d’un tissage à long terme imprimé sur le trottoir. L’espace qui annonce le flux absent de l’eau est également là où il est convoqué. Ce qui importe est que les implications de ces traces, bien qu’elles ne soient que des indications visuelles, désignent les limites de notre compréhension, la périphérie de la représentation. Plus proche de l’intuition affective, elles ont en quelque sorte la nature du toucher.

Ce sentiment de désillusion est également présent dans « Front Light », quand un changement conscient sur le point de vue de grands panneaux d’affichage publicitaire peut mettre de côté une telle rhétorique séduisante. En présentant la structure réelle dans laquelle les images publicitaires prennent place, une telle épaisseur fragile, le caractère artificiel de ces images devient enfin visible. Ici, la coupure installe un sentiment de matérialité relative qui confronte des discours insaisissables.

L’intensité de l’image dépasse les capacités rétiniennes et demande un regard phénoménologique généreux. Cette déclaration est récurrente dans la pratique artistique de Pablo Lobato. Avec des gestes simples, une matérialité de faible importance et des motifs non-expressifs, l’artiste veut intensément engager notre regard dans l’expérience, sans toutefois dépasser ni la rhétorique ni la visibilité des images. Cependant une telle discrétion, une telle délicatesse n’empêchent pas l’artiste d’être précis et de de s’affirmer, de nombreuses stratégies d’intervention des images, des objets, des espaces et des idées, sont radicalement et simplement définis par Lobato comme des coupures.

La plus part des œuvres de l’exposition « Coupure, Latence » traitent des multiples procédures de coupe auxquelles a recours Pablo Lobato et qui sont comprises dans leur matérialité et dans leur possibilité de signification. Bien que la notion de coupe semble venir du cinéma et du vocabulaire de l’édition, si familiers à l’artiste, il ne la comprend pas comme un outil technique mais comme un geste élargi, un processus de réflexion. Ainsi, Lobato mobilise l’héritage du cinéma pour promouvoir une migration de ces instruments de langage dans le champ des arts et vice versa. La majorité de ses propositions artistiques est située dans cette zone de réversibilité. En ce sens, la notion de coupe dans le travail de Pablo Lobato a été repensée, recontextualisée et étendue à de nombreux travaux ; cette notion peut être considérée comme centrale dans son dessein artistique.

Aucune classification n’est facile à définir lorsqu’on réfléchit à une œuvre comme « 1000 x 1 », bien que la notion de coupe soulignerait certains des échanges complexes, des procédures et des conséquences présentés dans cette œuvre qui se compose d’un projecteur 16mm projetant, de façon répétitive et statique, la même image d’un éclair déchirant le ciel. La matérialité de la lumière se manifeste dans l’image et dans son moyen de présentation. Plus qu’une interface, l’image dispose un circuit, résistant peut-être aux médias, dévoilant peut-être profondément sa structure, libérant peut-être d’improductives mais puissantes énergies. De la façon dont Pablo Lobato la conçoit, la coupe reconnait les effets de signification qui ne peuvent être générés qu’en touchant la matérialité du langage.

Dans un dialogue critique avec les constructions philosophiques telles que les concepts de « Coupure-Flux » de Gilles Deleuze ou « Métastabilité » de Gilbert Simondon, les deux définissant des états du potentiel latent, Pablo Lobato travaille ses coupes non pas pour réduire mais pour obtenir un effet de multiplication. Le mot « Muda » définit la partie d’une plante qui peut être replantée, qui possède les éléments nécessaires pour permettre la reproduction. Avec ses propres mains, Pablo a pénétré les fruits pour en extraire les pépins. Les photographies de la série « Muda » illustrent cet événement traumatique si loin d’une représentation idéaliste et montrent aussi les pépins mêmes qui ont été recueillis, séchés et qui sont maintenant pris au piège dans le cadre comme des témoins morts. Elaguer les arbres serait une illustration parfaite pour qualifier une coupe qui favorise des agrandissements en soustrayant. C’est ce qui a inspiré le titre « Poda », une plante en pot, précédemment un simulacre décent de la nature, maintenant coupée d’un côté révélant ainsi sa consistance artificielle.

« Cabeça, Coração e Rabo », comment la cachaça - un alcool brésilien - devrait être catégorisée selon sa maturation, comment le même matériau et le même processus produiraient des résultats distincts. Même si la disposition du titre ressemble à un diagramme organique, c’est à travers un équilibre très précaire que l’artiste sonde les relations entre des éléments comme le verre, le faux béton et l’alcool et vise ainsi à une formalisation qui permettrait de maintenir la circonstance de l’équilibre dans l’activité ordinaire et la latence. L’économie de coupe de Pablo Lobato, en plus de fournir des conditions embryonnaires pour des formes, explore l’ambivalence de la matérialité et les états suspendus de la signification.

Júlio Martins, commissaire de l'exposition

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